Je vous copie un article édifiant :
"Nos enfants vivront peut-être sur une planète sans éléphants": voici le récit d’hommes qui risquent leur vie face à des braconniers lourdement armés
Et nous, que pouvons-nous faire ?
Selon Gwendoline Viatour, porte-parole du WWF, les Belges et les Européens ne sont pas encore assez informés et n’ont pas conscience de ce qui est en train de se jouer en Afrique. En tant que citoyen, notre voix peut être utilisée pour faire pression sur des autorités politiques. Par exemple, il y a deux ans, le WWF a lancé une pétition pour demander à la Première ministre thaïlandaise de rendre illégal le commerce d’ivoire sur tout le territoire. Environ 20.000 Belges l’avaient signée."Et on avait gagné! Grâce à la pression publique de gens de pays du monde entier", se félicite la porte-parole."Maintenant, il y a aussi quelque chose de très concret, pour ceux qui se rendent en Chine ou qui sont éventuellement partenaires commerciaux de Chinois, surtout ne pas accepter de cadeaux qui soient à base d’ivoire. Car d’abord c’est illégal et puis ça participe au massacre des éléphants en Afrique. Et évidemment ne pas acheter des objets en ivoire sur place", conseille l’experte.Ce sont des chiffres alarmants. Lors des dix dernières années, près de 60 % de tous les éléphants ont disparu en Afrique. Le braconnage est le principal responsable de ce désastre. Pour protéger ces grands mammifères et tenter de juguler ce fléau, des hommes téméraires risquent leur vie. Jean-Bernard témoigne de la barbarie des braconniers, prêts à tout pour arracher les défenses en ivoire des éléphants.
Au cœur de la moiteur de la forêt
tropicale de Centrafrique, un petit coin de paradis attire chaque jour
une centaine d’éléphants. Cette clairière dont le sol est extrêmement
riche en sels minéraux s’appelle Dzanga Baï. Les pachydermes,
constamment à la recherche d’eau et de nourriture, viennent s’y
abreuver. Ce jardin d’Eden fait partie d’une réserve naturelle appelée Dzanga Sangha,
déclarée Patrimoine de l’Humanité. Ce site, qui abrite de nombreux
animaux comme les gorilles, les léopards ou encore les chimpanzés, est
protégé depuis sa création en 1988 par le WWF et reconnu par les
autorités nationales.
"C’est un endroit exceptionnel, c’est le
seul dans le pays où l’on peut encore observer à tout moment de la
journée un attroupement d’éléphants de forêt. Il faut donc réunir nos
efforts pour protéger ce dernier bastion", lance Jean-Bernard
Yarissem, coordinateur et superviseur du programme WWF en République
centrafricaine. Depuis près de neuf ans, la mission principale de ce
Centrafricain et de son équipe est de veiller sur ce merveilleux
sanctuaire, où vivent les espèces emblématiques du bassin du Congo."La
composante conservation constitue le corps de ce projet. Nous recrutons
des éco-gardes qui patrouillent la zone pour dissuader ou appréhender
les éventuels braconniers", explique-t-il. Une tâche qui s’avère malheureusement périlleuse, tant la violence des braconniers est intense.
"Je me suis caché dans la forêt sans eau, ni nourriture"
C’est au printemps 2013 qu’elle atteint des sommets, lorsque les violences plongent le pays dans l'instabilité."Les
rebelles Séléka qui venaient de prendre le pouvoir à Bangui, la
capitale, ont commencé à se répartir dans tout le pays, en fonction de
leurs intérêts économiques. Cette coalition de rebelles venait de trois
pays: essentiellement le Tchad, le Soudan et la République démocratique
du Congo. Les Soudanais viennent surtout pour piller les diamants et
aussi pour tuer les éléphants pour leur ivoire. Quand on a su qu’ils
arrivaient, j’ai pris des dispositions pour évacuer une bonne partie du
personnel", raconte Jean-Bernard. En tant que responsable, il est
chargé par sa hiérarchie de ramener de l’argent aux quelques collègues
restés sur place. Mais les rebelles Séléka ont vent de cette nouvelle et
tentent de le kidnapper."Ces rebelles armés ont investi le village,
mais ils se sont trompés de villa. J’ai donc dû m’échapper, comme tous
les villageois d’ailleurs. Je me suis caché dans la forêt sans eau, ni
nourriture". Les rebelles attaquent alors les bureaux du WWF. Ils
volent tout l’équipement de l’organisation et une centaine de défenses
d’éléphants confisquées à des braconniers."J’ai observé cela depuis
ma cachette, sans aucun moyen de réagir ni de communiquer. J’avoue que
c’est la première fois que j’ai véritablement eu peur pour ma propre
sécurité. Après leur départ, quand j’ai pu enfin parler avec ma fille,
j’ai failli verser des larmes", révèle Jean-Bernard.
"On a découvert un véritable carnage"
"On a découvert un véritable carnage"
Début
mai, un autre groupe de rebelles arrive dans le village. La cible de
ces 17 Soudanais est alors différente. Leur objectif est de tuer les
éléphants. Dès qu’ils réussissent à connaître la route pour se rendre à
Dzanga Baï, ils foncent vers la clairière. Jean-Bernard est contraint de
faire évacuer le site le plus rapidement possible."Dans le parc, le
rapport de force est clair. Ces braconniers sont lourdement armés avec
des kalachnikovs, alors que notre quarantaine d’éco-gardes ne possèdent
qu’une vingtaine d’armes. Il ne fallait donc pas risquer leur vie. On
n’avait pas le choix. On n’avait que nos yeux pour pleurer", déplore le coordinateur du WWF. "Pendant
toute la nuit, ils ont tiré des coups de feu. Et cela a continué
pendant deux jours. Au final, on a découvert un véritable carnage:
vingt-six cadavres d’éléphants, dont quatre bébés. Ils leur ont arraché
toutes les défenses et chargé tout ça dans leur pick-up avant de quitter
le parc avec leur butin", relate avec émotion Jean-Bernard.
Des éco-gardes sous-équipés face à des braconniers armés de kalachnikovs
Des éco-gardes sous-équipés face à des braconniers armés de kalachnikovs
Face à ce bain de sang, les éco-gardes du parc sont anéantis. Mais ils ne pouvaient pas se mesurer à ces braconniers aguerris. "On
a souvent l’image de braconniers armés d’une simple machette de
villageois. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment ça. Ce qui se passe,
c’est du braconnage de masse, de grande ampleur. Les braconniers sont en
fait des groupes armés qui ont des kalachnikovs, des hélicoptères, des
outils de vision nocturne. Et les éco-gardes du parc sont tout à fait
sous-équipés pour faire face à ce genre de groupes armés", explique
Gwendoline Viatour, porte-parole du WWF-Belgique. Chaque année, une
dizaine d’éco-gardes meurent en Afrique. Ils payent de leur vie le
travail pour protéger les éléphants."Ils font donc un travail
admirable au bénéfice de toute la planète, vu que les éléphants sont
quelque part un patrimoine mondial", tient à souligner cette experte en biodiversité.
"Ils les tuent en masse, y compris les bébés"
"Ils les tuent en masse, y compris les bébés"
Que ce soit en Centrafrique ou dans d’autres pays du continent, les scènes décrites sur le terrain sont insoutenables."On
peut vraiment parler de barbarie. Les braconniers rassemblent les
troupeaux d’éléphants à un endroit et ils les tuent en masse, tous en
même temps, y compris les bébés qui n’ont même pas encore de défenses en
ivoire. C’est vraiment atroce, quand on voit les images, parfois ils ne
font que blesser l’éléphant qui est à terre et ils lui coupent la tête
pour avoir les défenses alors qu’il est encore vivant", assure Gwendoline Viatour.
Le prix de l’ivoire ne cesse de grimper
Le prix de l’ivoire ne cesse de grimper
Si
ces groupes armés n’hésitent pas à violer même des sanctuaires protégés
et sécurisés, c’est parce qu’ils savent qu’ils sont mieux équipés, mais
aussi qu’ils ne risquent pas d’être punis lourdement."Les peines de
prison ou les amendes sont encore trop faibles et insuffisamment
appliquées par les autorités nationales pour que cela soit une réelle
menace pour eux", regrette la porte-parole de l’ONG internationale
de protection de la nature. Par ailleurs, l’ivoire, qui est surtout
prisé par les Chinois, peut se vendre très cher là-bas. Un kilo acheté
en Afrique une centaine de dollars est revendu plus de 2.000 dollars en
Chine. Pour les braconniers, c’est donc un moyen de se faire facilement
de l’argent."Le braconnage a un impact sur l’environnement pour les
populations d’éléphants, mais aussi sur la sécurité nationale, vu que
des populations locales souffrent de cela et se font menacer. Et
potentiellement cela peut financer du terrorisme qui peut nous
influencer nous, en Occident", assure l’experte.
"Un enfant qui nait aujourd’hui vivra peut-être à l’âge adulte sur une planète sans éléphants"
"Un enfant qui nait aujourd’hui vivra peut-être à l’âge adulte sur une planète sans éléphants"
Aujourd’hui, l’attrait pour ce commerce illégal est tel que la situation est devenue catastrophique."Le
braconnage atteint aujourd’hui des sommets en Afrique. C’est
extrêmement inquiétant. On pense même que les éléphants sauvages
pourraient purement disparaître d’ici une génération, donc d’ici 20 ans",
craint Gwendoline Viatour. D’après les chiffres du WWF, il reste
actuellement en Afrique environ 500.000 de ces grands mammifères. Or,
chaque année, entre 25.000 et 30.000 sont abattus pour le braconnage."Donc,
si on fait le compte, en 20 ans, ils pourraient disparaitre. On prend
souvent cet exemple: un enfant qui nait aujourd’hui vivra peut-être à
l’âge adulte sur une planète sans éléphants", pointe la porte-parole.
Au
total, 37 pays abritent des éléphants. En Asie, des populations de ces
pachydermes sont également menacées. Mais aujourd’hui, la crise se passe
surtout en Afrique, où les éléphants sont considérés comme les plus
grands animaux terrestres."La situation est particulièrement grave
en Afrique centrale parce que là-bas le taux de braconnage est presque
deux fois supérieur au reste du continent", indique Gwendoline Viatour. Cela s’explique par le fait que les éléphants de forêt
vivent essentiellement dans cette région. Alors que les éléphants de
savane se trouvent dans l’est et le sud du continent africain."Les
éléphants de forêt ont un ivoire un peu plus jaune, qui est plus demandé
par les Chinois qui consomment de l’ivoire. Il est destiné
exclusivement à la fabrication d’objets d’art, de bijoux ou d’objets
esthétiques. Ce qui explique pourquoi les éléphants de forêt sont encore
plus menacés", explique l’experte.
"Il faut essayer de stopper l’intérêt pour l’ivoire en Thaïlande et surtout en Chine"
"Il faut essayer de stopper l’intérêt pour l’ivoire en Thaïlande et surtout en Chine"
Pour
lutter contre le trafic illégal d’ivoire, l’ONG mène différentes
actions. Sur le terrain, l’association finance notamment du matériel et
des formations pour les éco-gardes. L’objectif est d’apporter un appui
logistique pour aider les autorités locales à protéger les parcs
naturels, où vivent les éléphants. Mais il y a aussi un travail
important de lobbying politique pour convaincre ces autorités d’adopter
des lois plus sévères et surtout les faire appliquer. Enfin, il est
important de sensibiliser la population locale, mais c’est
malheureusement très difficile puisque la pauvreté est importante dans
ces pays."Pour eux, aider les braconniers ou être braconnier
soi-même, ça rapporte de l’argent. Donc, il faut les aider à avoir
d’autres sources de revenu. La conservation de la nature ne fonctionne
que si les humains sur place sont eux-mêmes déjà en mesure de satisfaire
leurs besoins. Cela va de pair avec le développement de la population
et on est aussi actif à ce niveau-là", indique Gwendoline Viatour.
Pour résoudre cette crise, l’ONG estime toutefois qu’il faut se concentrer sur les consommateurs d’ivoire en Asie."Il
faut essayer de stopper l’intérêt pour l’ivoire en Thaïlande et surtout
en Chine. Là-bas, c’est considéré comme un signe extérieur de richesse
de posséder un objet en ivoire. Et il y a aujourd’hui une émergence
d’une classe moyenne chinoise qui a beaucoup plus de moyens. Souvent ils
n’ont toutefois pas conscience de la gravité de leur geste. Ils ne
savent pas que derrière ça, il y a eu des centaines de milliers
d’éléphants qui ont été tués. Ils achètent ça comme un objet de luxe
comme un autre, sans réfléchir." L’un des gros chantiers du WWF
actuellement est donc de convaincre la population chinoise, et en
particulier aisée, d’abandonner cette habitude. D’après une étude menée
par le bureau de l’ONG en Chine, ce sont en effet surtout les riches
businessmen qui offrent des objets à base d’ivoire à leurs clients.
L’association a donc mis en place des applications et des campagnes de
sensibilisation ciblées pour éveiller leur prise de conscience. "Il
faut aussi parallèlement à notre action en tant que ONG qu’il y ait une
véritable volonté au niveau politique. On pousse aussi pour que les
autorités chinoises mettent en place des mesures pénales très fortes
pour des acheteurs d’ivoire. Il faut vraiment que le politique prenne le
relais aussi bien en Chine et en Thaïlande que dans les pays africains
où se trouvent les éléphants", estime la porte-parole.
"Si on perd Dzanga Sangha, on n’aura plus rien !"
"Si on perd Dzanga Sangha, on n’aura plus rien !"
Un
avis que partage Jean-Bernard. Pour lui, une coordination au niveau
international est essentielle pour pouvoir enrayer ce fléau. "C’est
un constat amer. Les stratégies nationales et même régionales
s’essoufflent face au développement d’un réseau mondial de trafiquants
bien structurés et armés. En République centrafricaine, il n’y a ni
gouvernement stable, ni armée. Si la communauté internationale pense que
le pays peut à lui seul assurer la sécurité des éléphants, elle se
trompe", lance le Centrafricain.
A
Dzanga Baï, la situation est aujourd’hui plus calme. Suite au cauchemar
de mai 2013, Jean-Bernard et son équipe ont travaillé d’arrache-pied
pour que la vie reprenne son cours. Un défi réussi. Les éléphants sont
revenus dans la clairière et le troupeau est reconstitué. Le parc a pu
rouvrir ses portes aux visiteurs l’été dernier. La richesse de ce site
protégé continue malgré tout d’attirer la convoitise des braconniers. Et
les équipes sur le terrain manquent toujours de moyens pour assurer
leur mission."Nous n’avons que deux ou trois véhicules qui
fonctionnent, les routes sont mauvaises et nous n’avons pas assez
d’armes. Par ailleurs, les moyens de communication en zone forestière
sont difficiles. Mais on a quand même pu mettre en place un système de
caméras de surveillance qui permet de regarder en temps réel Dzanga Baï", indique Jean-Bernard.
Malgré les obstacles et les dangers, ce père de famille reste animé de beaucoup de courage et de détermination."C’est
un métier que je veux faire parce que j’y crois. Je crois en la beauté
des animaux et en leurs valeurs. Et si on perd Dzanga Sangha, on n’aura
plus rien", craint-il. Un cri d’alarme d’autant plus inquiétant que
les éléphants sont déjà fragilisés par la destruction de leur habitat
et le changement climatique. Et que leur disparition aurait de graves
conséquences sur tout l’écosystème de notre planète.
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